Aujourd’hui symbole de l’ENVT, la statue du percheron blessé, de son véritable nom Le Condamné de Montfaucon d’Emmanuel Frémiet, dispose d’une histoire riche.
Le Condamné de Montfaucon d’Emmanuel Frémiet qui trône fièrement à l’entrée de l’École Nationale Vétérinaire de Toulouse est le sujet d’une histoire loin d’être de tout repos !
La genèse d’une œuvre
Difficile d’évoquer la création de notre statue sans présenter le parcours de son créateur, Emmanuel Frémiet. Né le 6 décembre 1824, il s’intéresse très rapidement à l’art et au dessin qu’il apprend au sein de l’école de dessin de la rue de l’École de médecine de Paris. L’année suivante, il devient lithographe scientifique en ostéologie où il répond aux demandes de naturalistes et de médecins du Musée d’anatomie Orfila. Il développe aussi son intérêt pour la sculpture, notamment d’animaux, auprès de François Rude. Il rencontre rapidement du succès et reçoit de nombreuses commandes de sculptures animalières, dont certaines de l’empereur Napoléon III. On lui commande aussi d’autres œuvres qui ont traversé les âges comme le Saint Michel terrassant le dragon qui orne la flèche de l’abbatiale du Mont-Saint-Michel ou encore la statue de Jeanne d’Arc, place des Pyramides à Paris.
C’est dans le cadre d’une commande que l’histoire du Condamné de Montfaucon commence. Le 30 juillet 1852, Emmanuel Frémiet est sollicité par l’École Vétérinaire de Maisons-Alfort en vue de la création d’une œuvre destinée à trôner dans son entrée. Comme la lettre de commande n’a pas été retrouvée, on peut supposer que l’attendu n’était pas explicite comme cela pouvait souvent être le cas : l’accent étant mis sur la liberté de création de l’artiste. Après quelques imprévus entraînant une augmentation du prix initial envisagé, le percheron est achevé en 1854 et livré à Maisons-Alfort.
Un rejet menant à une mise au placard à l’École Vétérinaire de Toulouse
La réception du cheval de Montfaucon est glaciale : le corps professoral de Maisons-Alfort voit en cette sculpture une mise en cause de leurs capacités vétérinaires à soigner. Il souligne le paradoxe à installer, dans une école dédiée au soin animal, un cheval effrayé, abandonné à sa mort imminente. En conséquence, elle est refusée et elle réintègre la collection Frémiet-Barbedienne.
Mais pourquoi avoir choisi de proposer une statue représentant l’abatage d’un cheval percheron, les yeux bandés, levant la tête vers le ciel entouré de plusieurs symboles de mort, d’autant plus au sein d’une école vétérinaire ? Certains journalistes et critiques inscrivent cette œuvre dans l’attachement de l’artiste sculpteur pour la réalité, au réalisme et au souhait de représenter les animaux sous toutes leurs formes et leurs étapes de vie, même proches de leur mort. D’autres y ont vu une manière d’émouvoir en dénonçant l’idée de nécessité chez l’animal qui, une fois inutile, est dédié à la mort. Jacques de Biez, journaliste, historien et critique d’art ira plus loin en écrivant :
Son destin change le 20 novembre 1888 où il est décidé d’en faire cadeau à l’École Vétérinaire toulousaine. Son arrivée n’est pas forcément plus marquée par un accueil positif. Le directeur de l’école de l’époque, M. Le Professeur Ferdinand Laulanié, écrit dans sa lettre datée du 12 mars 1888 : “Je viens de (mot incompréhensible) le cheval de Frémiet, et en dépit de son expression qui est évidemment celle de l’horreur et de l’épouvante, j’accepte avec empressement et avec le plus vif plaisir une belle œuvre que vous avez gracieusement offerte à l’Ecole Vétérinaire de Toulouse“. Il y ajoute qu’il envisage de faire camoufler les éléments associés à la mort sous une couche de marbre bronze.
Cette joie affichée dans le courrier officiel est d’autant plus à tempérer au regard du choix du lieu d’installation de la sculpture. Elle est installée, non pas dans la Cour d’Honneur de l’École alors située à Matabiau, entourée des autres statues mais au loin, dans le jardin botanique. C’est finalement ce qui fera sa chance en lui permettant d’échapper à une réquisition des forces allemandes lors de la Seconde Guerre mondiale.
Un symbole étudiant devenu symbole de l’ENVT
Jusqu’en 1964, ce qui a pu être perçu comme un désamour a été contrebalancé par l’inclusion du cheval dans les “brimades” des “poulots”, surnom donné aux étudiants de première année. Ces derniers ont notamment pour mission de nettoyer les grandes statues de l’école, dont celle du Condamné de Montfaucon, réservée aux plus récalcitrants. Chaque année, il voit ainsi son pelage resplendir à nouveau.
Ce n’est d’ailleurs pas son dernier coup d’éclat. Dans la nuit du 22 mars 1964, la statue du percheron est choisie comme porte-parole d’étudiants en colère. Ils souhaitent dénoncer les conditions de vie associées au campus Matabiau, jugé vieillissant, mais aussi dénoncer le temps de construction du nouveau et actuel campus des Capelles. Déboulonnée vers deux heures du matin, la statue est portée et disposée sur un chariot, puis promenée sur les allées Jean Jaurès, sur la place Wilson puis vers le pont de l’École avec, autour du cou, une pancarte sur laquelle est écrit “Je cherche une nouvelle maison/une écurie“. Dès six heures du matin, elle sera ramenée à sa place puis emmenée dans ce qui sera le futur campus de l’ENVT, en “éclaireur”.
D’abord installé aux côtés des bâtiments de physiologie, le percheron fait face aux amphithéâtres sous le gardiennage de M. Le Professeur Pierre, responsable de la chaire de physiologie. Il est par la suite entouré de clôtures et de moutons par M. Le Professeur Ruckebusch, son successeur. Une manière de s’assurer du bon entretien du gazon entourant le percheron et d’éviter un potentiel vol de l’œuvre.
Ce n’est qu’en 2010 que Le Condamné de Montfaucon accomplit ce pour quoi il a été créé : il prend sa “Place” face à l’entrée de l’école. Il continue d’y porter un symbole fort de compassion et de prise de conscience de la douleur animale.
Sources :
ASSOCIATION DES ANCIENS ELEVES ET AMIS DE L’ECOLE NATIONALE VÉTÉRINAIRE DE TOULOUSE, Véto Matabiau, berceau de l’enseignement vétérinaire à Toulouse, 2007, p.201 à 204
Les trésors de Gamaliel, “Emmanuel Frémiet, “maître imagier”