24/03/2024
Catégories : Actualité, Bien-être animal, IHAP, International, Recherche

Focus sur la tuberculose

À l’occasion de la journée mondiale de la tuberculose, focus sur cette maladie infectieuse qui continue de concerner humains comme bovins.

Timothée Vergne et Sébastien Lambert, chercheurs au sein d’IHAP, ont répondu aux questions autour de la thématique : données d’analyse, évolution dans le temps, contrôle et impact, recherche…

Photo : Brandon Hayes

Quelques chiffres clés à propos de la tuberculose :

1 million
Nombre de décès de la tuberculose par an
0,1 %
Pourcentage d'élevages infectés aujourd'hui
2000
Année d'identification de la tuberculose dans la faune sauvage

En quoi parler de la tuberculose est encore important aujourd’hui ?

La tuberculose est une maladie infectieuse qui peut affecter les animaux mais aussi les hommes. Avec plus de 1 million de morts par an, c’est une des trois causes les plus importantes de mortalité humaine d’origine infectieuse, avec le paludisme et le SIDA.

Elle est due à diverses espèces de bactéries appartenant au genre Mycobacterium. Le principal agent de la tuberculose humaine est la bactérie Mycobacterium tuberculosis. En France, le nombre de cas humains annuels identifiés est désormais relativement faible (inférieur à 10 cas pour 100 000 habitants chaque année). Cela est dû en grande partie à l’amélioration des conditions d’hygiène et à l’utilisation du vaccin BCG. Cependant, la maladie est toujours présente et touche certaines régions plus que d’autres (par exemple Mayotte, la Guyane et l’Île-de-France ont plus de nouveaux cas que les autres régions).

La tuberculose est aussi toujours présente en élevage. Chez les bovins, c’est la bactérie Mycobacterium bovis qui est le plus souvent en cause. Bien qu’infectant préférentiellement les bovins, cette bactérie a un spectre d’hôte très large et peut infecter tous les mammifères, y compris les humains chez qui elle peut occasionner des signes cliniques similaires à ceux provoqués par M. tuberculosis. Les mesures de lutte mises en place au niveau national à partir des années 1960 ont permis de diminuer le pourcentage d’élevages infectés, d’environ 25 % en 1950, à moins de 0,1 % aujourd’hui. En 2001, la France a obtenu de l’Union Européenne le statut officiellement indemne de tuberculose bovine, qui reconnait le très faible niveau de circulation de la bactérie en élevage (moins de 100 élevages sont détectés chaque année) et qui permet d’alléger les mesures de surveillance et les contrôles lors de mouvements commerciaux d’animaux à l’international. Néanmoins, la tuberculose bovine reste une préoccupation majeure, avec une ré-augmentation progressive du nombre d’élevages atteints dans certaines régions depuis 2005, notamment en Nouvelle-Aquitaine, pouvant menacer le maintien du statut officiellement indemne de la France.

La problématique de la tuberculose des bovins, ça nous concerne vraiment ?

Bien sûr, et ce pour deux raisons : le risque pour la santé publique et l’impact pour l’élevage.

Comme décrit ci-dessus, la tuberculose bovine est une zoonose, c’est-à-dire que des humains peuvent s’infecter et tomber malade, notamment par l’ingestion de lait cru issu de vaches infectées. Heureusement, en France, les cas humains de tuberculose bovine sont devenus extrêmement rares du fait de la mise en place de la pasteurisation du lait et des mesures de lutte en élevage. De par sa gravité, la tuberculose bovine reste une zoonose majeure.

Dans d’autres régions du monde, la tuberculose bovine peut être responsable jusqu’à 30 % des cas de tuberculose humaine.

La tuberculose des bovins présente aussi des enjeux économiques pour les éleveurs. Elle entraîne des pertes de lait et de viande, et gêne le commerce et l’exportation. Avant la mise en place des mesures de lutte, les pertes étaient estimées à environ 400 millions d’euros par an. La réduction du nombre d’élevages infectés obtenue grâce aux mesures de lutte a permis de réduire considérablement ces pertes. Cependant, l’augmentation du nombre de cas observée dans certaines régions françaises depuis une vingtaine d’année est préoccupante, et menace le statut officiellement indemne de la France. Ce statut facilite le commerce au sein de l’Union Européenne, et le conserver représente donc un enjeu majeur à l’heure actuelle.

Quelle forme prend la lutte contre la tuberculose bovine aujourd’hui ?

Actuellement, la lutte contre la tuberculose bovine repose sur la réalisation périodique de campagnes de dépistage des bovins en élevage, le contrôle des bovins lors de mouvements commerciaux, et la mise en place de mesures de biosécurité permettant de réduire le risque d’introduction de la bactérie en élevage. De plus, l’inspection continue des carcasses à l’abattoir permet de compléter cette surveillance.

Lorsqu’un élevage est reconnu infecté, les mesures de gestion passent essentiellement par l’élimination des animaux infectés : elle peut se faire par abattage total du troupeau (obligatoire en France sauf dérogations) ou par abattage sélectif des animaux détectés positifs (lorsque la dérogation est obtenue). Cette alternative, soumise à conditions, est proposée pour certains élevages dans les régions où la tuberculose bovine pose problème depuis plusieurs années. Elle permet d’éviter le risque de disparition de certaines races rustiques à faibles effectifs, de conserver le travail de sélection génétique réalisé par l’éleveur, et d’éviter le dépeuplement entier d’un élevage quand seulement quelques animaux sont infectés. Cependant, l’abattage total est plus efficace que l’abattage sélectif, car il facilite la mise en œuvre d’un nettoyage, d’une désinfection et d’un vide sanitaire efficace de l’élevage, limitant les risques de réapparition de la maladie après le repeuplement de l’élevage. L’abattage sélectif nécessite la mise en œuvre par le vétérinaire de tests de dépistage répétés dans l’élevage et nécessitera plusieurs mois avant que l’éleveur ne reprenne une activité normale.

Et la faune sauvage dans tout ça ?

Depuis le début des années 2000, la tuberculose a aussi été identifiée dans la faune sauvage, notamment chez les cerfs, blaireaux et sangliers. La contamination des animaux sauvages par les bovins peut survenir par voie directe lors de contacts rapprochés, mais aussi par voie indirecte via la contamination de l’environnement. A leur tour, les animaux sauvages sont susceptibles de transmettre la bactérie aux élevages bovins.

Cette situation est préoccupante, et souligne une nouvelle fois l’importance des mesures de biosécurité en élevage, utiles à la fois pour réduire le risque de transmission entre élevages mais aussi de et à la faune sauvage. La présence de l’infection dans la faune sauvage donne également lieu à une surveillance de l’infection dans la faune sauvage, afin de caractériser l’évolution du niveau d’infection et de la distribution géographique.

 

 

 

 

Comment la recherche peut contribuer à améliorer la lutte contre la tuberculose bovine ?

La recherche peut contribuer notamment sur l’amélioration du dépistage, de la prévention et de la gestion de la tuberculose bovine. Parmi les nombreuses pistes explorées, on peut citer tout d’abord le développement de tests de dépistage plus fiables et plus faciles à utiliser pour améliorer notre capacité à identifier précocement les élevages infectés. Par ailleurs, un autre objet de recherche actuel est le développement d’un vaccin pour certaines espèces sauvages, afin de limiter le risque de transmission entre bovins et faune sauvage. Plus largement, la recherche peut contribuer à améliorer notre compréhension des dynamiques de transmission entre les différentes espèces sauvages (sangliers, blaireaux et cervidés) et domestiques (bovins essentiellement), et ainsi permettre d’ajuster les mesures de gestion, notamment les mesures de biosécurité. Pour finir, il est possible de mener des recherches sur la perception des différents acteurs (éleveurs, vétérinaires…) sur les programmes de gestion actuels, pour comprendre les possibilités d’amélioration de l’adoption des mesures et de leur efficacité.

 

Dépistage d’un bovin par mesure du pli de peau suite à une intradermotuberculination – Photo : Timothée Vergne

INNOTUB, qu’est-ce que c’est ?

INNOTUB est le réseau scientifique transpyrénéen pour le contrôle, la surveillance et l’éradication de la tuberculose animale. Le réseau rassemble différents instituts de recherche en France et en Espagne : l’Institut basque de recherche et de développement agricole (NEIKER) ; l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), l’École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT), l’Institut de recherche et de technologie agroalimentaire (IRTA) et l’Université autonome de Barcelone (UAB).

 

Réunion de clôture du premier projet du réseau INNOTUB, avec un représentant de chaque partenaire, de gauche à droite : Giovanna Ciaravino (UAB), Iker Sevilla (NEIKER), Bernat Pérez (IRTA), Maria-Laura Boschiroli (ANSES), Timothée Vergne (ENVT).

 

Le premier projet (2020-2022) du réseau, soutenu par le programme Interreg POCTEFA Espagne-France-Andorre de la Commission européenne, a permis de développer et d’améliorer les outils de biosécurité, de diagnostic et de vaccination, ainsi que de meilleures stratégies de communication avec le secteur de l’élevage.

Un second projet, à nouveau soutenu par le programme Interreg POCTEFA, a démarré en 2024 et durera jusqu’en 2026. Dans la lignée du premier, ce second projet continuera de développer des approches innovantes et multidisciplinaires en abordant des questions telles que l’évaluation des pratiques de biosécurité dans les exploitations agricoles, le développement de nouveaux outils pour le diagnostic et la prévention de la tuberculose bovine, la caractérisation de la transmission de la maladie entre les animaux domestiques et sauvages ainsi que l’étude de la résistance aux antimicrobiens chez les bactéries responsables de la tuberculose. Les résultats du projet permettront d’améliorer les programmes de contrôle, de surveillance et d’éradication de la tuberculose animale dans la région transpyrénéenne, pour aider le secteur agroalimentaire de la région et favoriser sa compétitivité.

Et concrètement, quelle sera la contribution de l’ENVT à ce projet ?

Nous interviendrons sur plusieurs volets du projet, en collaboration avec nos partenaires. Tout d’abord, nous allons réaliser des enquêtes de biosécurité en élevage de bovins et de petits ruminants pour identifier les points critiques en lien avec le risque infectieux et proposer des pistes d’amélioration que nous suivrons sur deux ans.

Nous réaliserons aussi une étude sur la perception qu’ont les éleveurs de bovins, les vétérinaires et les services vétérinaires de l’Etat des mesures actuelles de prévention, de surveillance et de lutte contre la tuberculose bovine, en déployant des questionnaires adaptés à chaque public cible. Enfin, nous développerons des outils de modélisation qui intègreront les données de surveillance de la tuberculose bovine en élevage et dans la faune sauvage afin d’estimer l’intensité de la transmission au sein de et entre chaque population d’hôte.

 

Crédit photo – Timothée Vergne