Communiqué de presse
L’élevage bovin français est confronté à un défi majeur : la gestion de la consanguinité et son corollaire, l’apparition d’anomalies génétiques récessives affectant la santé et la durabilité des troupeaux. Une étude preuve de concept menée par les généticiens d’INRAE, en partenariat avec l’Institut de l’Élevage (IDELE), ELIANCE, les quatre écoles vétérinaires françaises (ENVF) et les principaux organismes et entreprises de sélection français, propose une nouvelle approche pour identifier et contrer ces anomalies.
Mettant à profit les grandes bases de données générées pour la sélection des bovins, cette méthode appelée HHED (Homozygous Haplotype Enrichment/Depletion) a fait l’objet d’une publication dans Genome Biology. Grâce à l’analyse des données génomiques et des parcours de vie de millions de bovins, la méthode HHED a permis de détecter 33 nouvelles régions du génome associées à une augmentation du risque de mort juvénile et/ou une réduction de la vie productive des femelles homozygotes. Parmi les découvertes majeures, une mutation génétique, à l’origine du syndrome BLIRD, a été identifiée chez la race Holstein. Ce syndrome, non détecté pendant plus de 40 ans, provoque des retards de croissance et affecte l’immunité intestinale. Ces avancées offrent des perspectives prometteuses pour améliorer la santé et la durabilité des élevages bovins.
L’élevage bovin est un secteur clé de l’agriculture française, soutenu par un réseau solide d’éleveurs, d’opérateurs de terrain (conseil en élevage, sélection), de vétérinaires et de chercheurs. L’amélioration génétique est un des leviers de l’efficience économique et environnementale de l’élevage. Elle vise à repérer, puis à diffuser les reproducteurs les plus prometteurs au regard des critères de chaque race, en particulier sur le plan de la santé des animaux.
Les mutations sont un phénomène naturel chez tout être vivant, qui peut générer des anomalies génétiques. Celles-ci passent en général inaperçues, car portées par un seul des deux chromosomes homologues. Elles peuvent en revanche s’exprimer et affecter la santé d’un individu, lorsque celui-ci est homozygote, c’est-à-dire qu’il porte deux copies anormales d’un même gène. Ce phénomène, qui survient à la suite d’accouplements entre individus lointainement apparentés à un même ancêtre, peut être favorisé par la diffusion large de certains reproducteurs porteurs de la mutation.
Face à cet enjeu, la France a été l’un des premiers pays à se doter d’un réseau de surveillance appelé Observatoire National des Anomalies Bovines en 2002 (www.onab.fr), dont le rôle est de recueillir les signalements et les prélèvements biologiques de veaux anormaux, de susciter les recherches et d’informer les professionnels. Toutefois, cette stratégie repose sur l’observation de signes cliniques distinctifs et ne permet pas de repérer des mutations responsables de troubles immunitaires ou métaboliques dont les manifestations peuvent être confondues avec des maladies d’origine environnementale (causées par des agents pathogènes ou une alimentation inadéquate par exemple).
La méthode HHED (Homozygous Haplotype Enrichment/Depletion) appliquée aux trois principales races laitières françaises (Holstein, Montbéliarde et Normande) a permis de détecter 33 nouvelles régions du génome liées à une surmortalité juvénile et/ou une réduction de la vie productive des bovins femelles portant deux copies anormales d’un même gène.
Des mutations candidates ont été identifiées pour huit de ces régions génomiques, et trois ont fait l’objet d’analyses détaillées pour comprendre les causes biologiques sous-jacentes. L’une des découvertes majeures est la description du syndrome BLIRD (Bovine Leucocyte Intestine Retention Defect) en race Holstein, causé par une mutation du gène synthétisant l’intégrine beta 7 (ITGB7), une protéine d’adhésion cellulaire essentielle à l’immunité intestinale.
Le fait que cette anomalie génétique n’ait pas été détectée auparavant alors qu’elle existait depuis au moins 40 ans dans cette race bovine, la plus nombreuse et la plus étudiée au monde, illustre la puissance de cette nouvelle approche.
Depuis la communication des résultats préliminaires de l’équipe française au congrès WCGALP (World Congress on Genetics Applied to Livestock Production) en 2022, d’autres équipes de recherche européennes, américaines et australiennes ont confirmé les effets délétères du syndrome BLIRD sur la survie, la croissance et les performances laitières des femelles atteintes.
En France, on estime que chaque année 29 000 veaux naissent homozygotes pour au moins une des 33 régions génomiques associées à une surmortalité juvénile détectées grâce à cette étude, générant des coûts de plusieurs millions d’euros. La caractérisation et la contre-sélection progressive des mutations responsables de ces anomalies, en les traçant dans les populations, devrait améliorer la santé et la durabilité des élevages bovins.
L’étude initiale a porté sur l’analyse de 50 000 marqueurs génétiques balisant le génome bovin, dont les informations étaient disponibles pour plus de 500 000 individus et leurs ancêtres grâce aux évaluations génomiques réalisées en routine pour l’amélioration de ces races.
La méthode HHED permet d’identifier des régions du génome où l’on observe un excès d’homozygotes chez les génisses mortes naturellement avant l’âge adulte. En parallèle, ces mêmes régions sont moins fréquentes chez les vaches laitières adultes par rapport à ce que l’on s’attendrait en fonction du patrimoine génétique de leurs ancêtres. Cela aide à repérer les anomalies génétiques potentiellement responsables de la surmortalité juvénile.
Les effets de ces régions ont été validés et précisés en analysant les performances pour de nombreux caractères d’intérêt et l’historique de vie d’une population de validation comprenant 8,8 millions de bovins. Des mutations candidates pour ces régions ont été identifiées en analysant les génomes de 1 869 animaux incluant les taureaux les plus influents de 70 races bovines. Enfin, l’ajout de ces mutations candidates aux marqueurs génétiques pris en compte pour les évaluations génomiques de ces races a facilité le recrutement de veaux porteurs homozygotes et de veaux non porteurs qui ont permis de décrire finement les conséquences pathologiques des anomalies génétiques détectées, après comparaison de leurs caractéristiques phénotypiques.
Financement
Depuis 2003, APIS-GENE s’attache à répondre aux priorités des filières de ruminants via l’investissement dans des programmes de recherche finalisée à valence génétique et génomique, et au travers du déploiement terrain de innovations qui en découlent.APIS-GENE investit chaque année, notamment. Les orientations d’APIS-GENE sont matérialisées dans son programme scientifique EGER 4.0 (Efficacité Globale de l’Elevage des Ruminants), qui apporte une réponse concrète à deux des enjeux majeurs que porte la loi d’avenir pour l’agriculture : produire autrement en protégeant l’environnement. L’amélioration de la santé et du bien-être animal (axe 2 – santé et bien-être animal) relèvent et participent au concept « one health, one welfare », et dans ce contexte APIS-GENE oriente des financements sur la détection des anomalies génétiques.APIS-GENE, sous l’impulsion de ses actionnaires financeurs : la CNE, le Cniel, ELIANCE et INTERBEV et avec l’appui technique d’Idele, a financé plus de 160 programmes de recherche pour quelques 25 M€. APIS-GENE assure également la Maîtrise d’œuvre de 8 valorisations, à destination des éleveurs bovins, ovins et caprins. www.apis-gene.com
Référence
F. Besnard, et al. (2024) Massive detection of cryptic recessive genetic defects in dairy cattle mining millions of life histories. Genome Biology, DOI : https://doi.org/10.1186/s13059-024-03384-7